Il y a les films cultes comme The Big Lebowski ou The Rocky Horror Picture Show. Il y a les séries cultes comme X-Files ou Twin Peaks. Il y a même les jeux vidéos cultes, comme StarCraft ou les Monkey’s Islands. Or, s’il existe un panthéon des jeux de société cultes, Blood Bowl siège certainement quelque part à la table de leur conseil d’administration (avec Magic: The Gathering et Twilight Imperium, disons). Bon an mal an, et malgré la difficulté parfois extrême de se procurer le jeu ou ses accessoires, des milliers voire des dizaines de milliers de « coaches » à travers le monde continuent aujourd’hui de pratiquer le Blood Bowl régulièrement dans des « ligues » organisées ou des tournois rassemblant parfois plusieurs centaines de joueurs/coaches(!).
Blood Bowl est un jeu de Football (américain) Médiéval Fantastique Sanglant, où s’affrontent deux joueurs avec chacun une équipe “personnalisée” d’une douzaine de figurines. Les elfes sont agiles, fragiles et jouent le “jeu de passe”. Les nains et les orques jouent « physique », et pour eux une stratégie valide est « si tous les joueurs adverses sont morts ou blessés, c’est plus simple de scorer ». Le jeu est empreint d’un humour certain: il est par exemple possible pour un Troll de lancer un gobelin par-dessus la défensive adverse, mais il arrive que le premier aie assez faim et décide de plutôt dévorer le second à la place. Tels sont les aléas du Blood Bowl.
Sorti pour sa première édition vers la fin des années ’80, Blood Bowl a relativement prospéré jusqu’en 2002, puis a été carrément abandonné par Games Workshop pendant plus d’une décennie. Confié à une filiale “marginale” (Specialist Games) au profit de leurs sorties “grand public”, plus lucratives, cela aura laissé un goût amer aux fans, mais plus maintenant! Réalisant qu’ils étaient assis sur une montagne d’argent dormant, Games Workshop vient tout juste de lancer une nouvelle édition qui sent la figurine neuve!
Figurines et photos dans la suite de l’article!
Une jolie couche de peinture en spray
La boîte contient 12 figurines orques, et 12 figurines humaines. La première chose qui saute aux yeux est que l’échelle a changé: les figurines sont plus grosses (30 mm), le terrain est proportionnellement plus gros, et le gabarit de passe mis à l’échelle bien évidemment. La nouvelle échelle est fantastique… elle donne une impression de « grandeur » qui manquait au sport. Le terrain est recto-verso, mais ça n’a pas d’effet sur le jeu. Personnellement, je trouve la nouvelle face (un terrain orque délabré) très ordinaire, voire laide, mais les avis divergeront.
Nouveauté intéressante, on assemble les figurines sans colle en « poussant » ensemble les différentes parties du corps, le résultat est très joli et surprenamment solide: quelques figurines « ballottent » mais pourraient probablement même tenir avec de la « gommette bleue ».
Il est à noter que bien que les équipes dans la boîte soient suffisantes pour une partie « d’exhibition », elle ne sont pas suffisantes ni pour faire une ligue à terme , ni bien évidemment si on veut jouer une autre équipe que les orques ou les humains. L’équipe Skaven est déjà sortie, et on peut d’ailleurs s’attendre à la sortie de nouvelles équipes dont les Nains. Les image sont superbes.
Un jeu sans élégance pour une époque plus civilisée
D’emblée, les règles sont exactement les mêmes que les règles « vivantes » disponibles sur Internet (à 99,99%). Les développeurs l’avaient annoncé, et il est vrai que les modifier aurait bien pu ne pas plaire à la « base de fans ». Pourquoi? Parce que Blood Bowl est l’un des jeux où les factions asymétriques, les différentes « races » formant des équipes avec des styles de jeu radicalement différents, ont été finement « balancées » sur 30 ans et des milliers voire des millions de parties. Aucun autre jeu asymétrique ne peut se targuer d’un équilibre aussi fin à part peut-être roche-papier-ciseau. C’est admirable, et ça contribue beaucoup au plaisir de jouer de savoir que le mérite de la victoire reviendra plus au talent du coach qu’à l’équipe choisie.
Si les règles ont « un charme vieillot », avec d’innombrables tableaux de référence et modificateurs étranges aux jets de dés, le jeu a un défaut majeur qui n’a pas été touché d’un iota par l’édition actuelle: sa durée. Deux vétérans connaissant les règles par coeur, jouant des équipes « rapides » (i.e. pas celles qui doivent maximiser leur nombre de blocage dans leur stratégie) dans une soirée où la phase de la lune et la pression barométrique leurs sont favorables peuvent réussir à compléter une partie en moins de 2 heures. Dès qu’un de ces facteurs est absent, on parle de 3 heures et plus.
Vous comprendrez qu’en cette époque où un jeu de plus de 60 minutes est considéré « long », c’est une relique d’un autre âge. Je croyais (à tort) qu’ils profiteraient d’une nouvelle édition pour améliorer l’accessibilité à un nouveau public, mais ils ont préféré ne rien toucher de peur de déplaire à leur fans. Peut-être est-ce là une occasion manquée, mais les ventes leur donneront sûrement raison.
Blood Bowl est aléatoire, très aléatoire: on lance des dés pour tout, tout le temps. Les vrais fans savent bien qu’au fond, loin d’être un “dice-fest”, Blood Bowl est un jeu de gestion de risque, où les coaches les plus astucieux ne seront jamais pris en défaut par l’inéluctable mauvais jet.
Les règles sont réparties entre le livret de base et l’extension Death Zone Saison 1 (augurant plusieurs autres éditions à 30$ chacunes) qui rassemble les « habiletés avancées », les règles de ligues, et les compositions d’équipe pour sept autres équipes (Skaven, Elfes Noirs, Nurgle, Hauts Elfes, Elfes « vanille », Elfes sylvains et Nains).
À noter que les règles modernes sont disponibles en français pour la première fois depuis très longtemps!
RIP Skoul Kreusheur (2000-2005, Lanceur Orque), Nuffle aie ton âme.
Ce ne serait pas rendre justice à ce jeu que de ne pas mentionner le jeu « de ligue ».
Blood Bowl peut être joué comme une suite de partie sans lendemain, mais là n’est pas son attrait: il existe (dans le supplément Death Zone) des règles de « ligue » qui font en sorte que le résultat de chaque partie influence l’état final de l’équipe. Non, les jeux “Legacy” n’ont pas tout inventé!
Au fil des parties, les joueurs acquièrent de l’expérience (en scorant, passant, blessant, etc.), et celle-ci se traduit en habiletés supplémentaires. Un système amusant de « handicap » vient « égaliser » la partie lorsque deux équipes de niveaux d’expérience dramatiquement différents s’affrontent: mercenaires supplémentaires, sorciers ou « Bloodweiser Babes » pour remonter le moral des joueurs.
On voit donc des joueurs étoiles naître, dominer le terrain tel Carey Price en Coupe du Monde, et parfois mourir. Et la mort, c’est permanent. Je ne vous mens pas quand je dis que la soirée où l’un de nos joueurs vedette trépasse stupidement sur le blocage normalement « dans la poche » d’un gobelin récalcitrant est une soirée triste, tellement l’attachement émotif à l’équipe fait partie du jeu.
C’est donc quasiment un jeu de rôles où l’on s’attache à notre équipe, on leur prête des personnalités, des rivalités naissent entre les équipes, et de façon générale le jeu prend une vie et une émotion rarement vue dans d’autres jeux..
Alors, faut-il l’acheter ou non?
Mon verdict est simple: « Évitez de l’acheter si vous le pouvez ». Voyez vous-mêmes:
Ce n’est pas un verdict si difficile à rendre puisque la question ne se pose même pas pour les vrais de vrais (comme moi), ceux qui ont déjà passé des centaines de parties à faire évoluer avec amour leurs équipes favorites. Ceux-là l’ont déjà acheté (voire pré-commandé), c’est outre la raison.
Je vais me vider au moins un peu le coeur tout de suite: à part les jolies figurines et le terrain plus grand, la nouvelle édition n’apporte RIEN de nouveau sur le terrain. Nada, Zilch, Pantoute.
Ce n’est malheureusement pas cette version qui va renouveler le public de ce jeu.
Même la simple tâche de rassembler les règles modernes dans un joli livret couleur est un échec: les règles sont séparées en deux livrets, et c’est bien connu que la règle dont vous saurez besoin sera dans le livre que vous aurez oublié chez vous.
Si vous avez toujours votre vieille copie et ne jouez pas les équipes orques ou humaines: vous n’achetez au fond que le terrain, les dés et les gabarits. Pour 119$ canadiens (149$ avec l’extension Death Zone), c’est pas l’affaire du siècle.
Les seuls cas où ça peut valoir l’investissement sont si vous aimez les figurines et/ou que vous regrettez d’avoir vendu votre vieille copie du jeu, et que votre groupe se refait une ligue. Encore là, il se pourrait qu’il ne vaille la peine que d’acheter une équipe et télécharger les règles.
Ce qui m’étonne quand même de la part de GW et de leur légendaire appétit pour le cash, c’est de ne pas tout avoir fait plus petit. Là, les anciennes figurines auraient vraiment été inutilisables, et ça leur coûterait moins cher en plastique (pour le même prix de vente, évidemment).
Mais je ne m’en fais pas pour eux : le fanboy va effectivement préférer racheter des nouvelles figurines plus grosses et plus jolies.
Mais ça ne m’étonnerait pas que des modèles 3D du gabarit de passe ‘custom’ se retrouvent bientôt gratuitement sur internet…
Sylvain
Ne leur donne pas d’idées! Pour le gabarit, t’en fais pas c’est certain que ça va arriver, Internet étant ce qu’il est. Je _crois_ que les règles vont continuer à être disponible, et que leur évolution va se faire en parallèle avec celles publiées dans les prochaines extensions. C’est un peu inévitable.
Déjà, les nouvelles figurines sur les anciens terrains sont OK, mais un peu inconfortables… elles dépassent. Ça fera peut-être l’effet dont tu parlais.
J’ai beau râler sur GW, ils ont donné aux fanboys (justement) exactement ce qu’ils voulaient, et vont probablement avoir suffisamment de ventes en conséquences. Ce qui est plus triste, c’est que c’est un jeu qui va scléroser avec le temps, faute de nouveau public… 🙁