Permettez-moi cet article un peu inhabituel et sans doute peu illustré (par esthétisme, je rajouterais sans doute ce soir quelques hackers à cagoule, qu’Alex affectionne tant…). J’ai appris ce matin une nouvelle qui m’a donné, pour reprendre l’expression consacrée omniprésentes dans les média ces jours-ci, une gueule de bois de lendemain de fête. Cette nouvelle est pourtant des plus futiles : Gamevil annonce la cessation de service de son jeu Spirit Stones, qui ne sera plus opérationnel fin juillet. Cette nouvelle me pose un problème immédiat, mais provoque aussi chez moi des réflexions plus poussées : je me propose de partager l’un et l’autre avec vous (après tout, c’est vous qui choisissez de lire ceci… alors partageons).
MISE EN CONTEXTE : SPIRIT STONES C’EST QUOI ?
Spirit Stones, c’est un jeu en ligne multiplateforme (ordi, tablettes) de cartes à collectionner. Chaque carte représente un personnage avec ses caractéristiques et ses pouvoirs particuliers. Le joueur collectionne les personnages, gère l’évolution de tout ce petit monde et envoie des équipes de 4 personnages remplir des missions diverses et variées, qui rapportent des récompenses tout aussi diverses et variées. Jeu gratuit mais où tu peux payer avec du vrai argent pour avoir plus de ressources. Bref, un jeu assez classique de ce qu’on trouve actuellement un peu partout. Il a cependant l’avantage d’articuler le concept que je viens de vous présenter avec la résolution d’un mini-jeu (connecter le plus possible de bulles de la même couleur, avec des bulles de pouvoirs spéciaux) pour l’accomplissement des missions : plus tu es bon dans ce mini-jeu, plus tes personnages performent. Je passerais sur les moins bons aspects de ce jeu, qui ne sont pas utiles à cet article.
MON PROBLÈME IMMÉDIAT AVEC CETTE FIN DE SERVICE
Le gros avantage de ce jeu dans ma maison, c’est que ma fille de 5 ans et demi l’adore. Quand elle avait trois ans, elle m’a vu y jouer, puis m’a demandé régulièrement des nouvelles du « jeu des quatre bonhommes » pendant les 18 mois qui ont suivi où je n’y jouais plus. Si bien que je lui ai créé un profil, je m’y suis remis : c’est une de nos activités père-fille quotidienne, à laquelle elle tient religieusement. Ce jeu lui a apporté beaucoup : apprendre à économiser des ressources pour acquérir quelque chose, amélioration de la logique pour réussir le mini-jeu, apprendre à perdre, apprendre à gérer la possession d’une collection d’objets, apprendre à assumer ses erreurs de gestion, apprentissage de l’heure (la mise à jour se fait à 20h chaque jour : un moment attendu dans sa journée), initiation à la lecture. Et acquérir de la patience. Surtout.
Dans un mois, tout ceci va cesser. En tant que père, je vais donc devoir faire une croix sur cette activité père-fille : ça me chagrine, mais je sais toutefois que d’autres viendront. Mais j’avoue que je ne sais pas comment je vais annoncer ça à ma fille. La notion de « finitude absolue » est encore très nouvelle chez elle et passablement douloureuse (décès récent dans la famille). C’est inconcevable pour elle que ce jeu auquel elle joue tous les jours disparaisse aussi soudainement, et sans aucune réponse claire aux « pourquoi » qu’elle va certainement m’adresser. C’est un jeu dans lequel elle s’est investie émotionnellement : elle aime ses bonhommes et elle en prend soin, jour après jour. On parle d’une petite fille qui a les larmes aux yeux quand je décide de changer de cheval dans Minecraft… « Hein ? Il est où, Cacao ? Papa, va chercher Cacao… Je veux pas que tu prennes ce nouveau cheval-là, c’est Cacao le meilleur ! »
J’ai un mois pour trouver comment gérer cela. Enfin… un peu moins d’un mois : avec elle, mieux vaut que je m’y prenne à l’avance. À moyen terme, j’envisageais une transition vers les cartes Pokemon, mais c’est du 7 ans et plus : pas sûr qu’elle soit prête pour cela…
RÉFLEXIONS PLUS POUSSÉES : QUE RESTE-T-IL QUAND LE JEU CESSE ?
Ces pensées sur le deuil à venir d’une petite fille m’ont amené à réfléchir davantage sur le concept de ces jeux en ligne totalement dématérialisés et sur leur extrême volatilité potentielle.
Le jeu « traditionnel », que ce soit jeu de plateau ou jeu de carte à collectionner, reste la propriété de son possesseur, même quand la compagnie cesse son activité ou ne supporte plus le jeu. Il a l’inconvénient de prendre de la place dans le placard (coucou, Games Workshop), de nécessiter une mise en place longue et parfois fastidieuse (coucou, Mage Knight… coucou, Firefly). Mais il reste, il est utilisable à l’infini et parfois même il est revendable (coucou Magic).
Pour le jeu dématérialisé, que nenni ! Pour tous les joueurs de Spirit Stones qui ont dépensé du véritable argent pour améliorer leur collection, fin juillet, il ne restera que des souvenirs. Parions que leur deuil pourrait être pas mal plus intense que celui de ma fille… On sait tous que l’investissement dans ce genre de jeu est volatil, mais lorsque le couperet tombe, quand l’éventualité devient une réalité concrète, le coup est pas mal plus rude que ce à quoi on s’attendait. On connaissait les avantages du jeu dématérialisé (ne prend pas de place, accessible partout, jouable immédiatement), mais on prend soudainement conscience de son plus gros défaut : quand c’est la fin, il ne te reste plus que tes yeux pour pleurer et l’argent disparu (coucou, les casinos…).
On peut dire que, pour Spirit Stones, la fin d’activité est partiellement de ma faute : si la compagnie cesse, c’est parce qu’ils ne peuvent pas se permettre de continuer financièrement… et j’ai joué sans payer durant tout ce temps. Ce n’est pas faux, mais je me suis alloué un budget mensuel limité pour ce type de jeu, que j’investis dans celui qui me plait le plus. Spirit Stones n’a jamais réussi à atteindre ce statut. Mais j’ai payé régulièrement pour un autre jeu du même genre, Urban Rivals. Et j’aurais pu connaître la même déconfiture que les joueurs-payeurs de Spirit Stones, si la compagnie derrière UR avait pris une décision similaire. Heureusement pour moi, ça n’a pas été le cas : ils ont pris d’autres décisions pourries, si bien que je ne donne plus un sou et que je n’y joue plus vraiment.
Avant de dépenser le moindre dollar, j’avais déjà réfléchi à cette problématique de la dématérialisation. J’avais adopté une approche différente : payer pour un jeu dématérialisé, ce n’est pas acheter un jeu mais plutôt acheter du temps de plaisir. Un peu comme aller au cinéma, où tu ressors de la salle les mains vides. Mais je m’aperçois aujourd’hui de la limite de cette comparaison. Quand tu entres dans la salle de cinéma, le contrat est clair : tu sais que tu entres pour une prestation d’une durée limitée, que tu connais déjà. Il n’y a pas de deuil à faire (sauf si c’est un film en rapport avec Game of Throne, bien évidemment). Alors que la fin du jeu dématérialisé arrive soudainement, indépendamment des projets à moyen ou long terme que tu avais commencé à faire. Et générer des projets à moyen ou long terme, c’est justement l’un des intérêts de ce type de jeu. C’est aussi la fin subite et inattendue du plaisir qu’on avait à jouer (coucou, Ramsay Bolton).
LE MOT DE LA FIN ?
Pour une fois, il n’y en a pas.
Mettons que je vais jeter maintenant un œil plus bienveillant à mes boîtes de cartons qui contiennent mes vieilles cartes de Magic. Et je vais aborder avec une approche plus « Damoclès » tout nouveau jeu dématérialisé dans lequel je déciderais d’investir du temps (coucou, Ingress).
Et vous, qu’en pensez-vous ?
J’ai bien aimer lire ton article. Effectivement les jeux en ligne sont limité dans le temps. J’ai encore un jeu de table que mon père jouer avec ses frères. Comme tu as souligné certain de ces vieux jeux de société prend de la valeur auprès des collectionneurs.
Intéressant, je suis tout à fait d’accord avec toi.
Du coup ça me fait voir différemment l’arrivée prochaine de Pokémon Go (de Niantic Lab, qui fait Ingress)…
C’est drôle aussi, ça fait plusieurs semaines que je me dis que je vais me remettre à Spirit Stones… c’est raté.
Comme tu dis, je suis sûr que tu vas trouver un autre rituel, une autre activité ou jeu… préférablement non virtuel.
s.
À l’essai actuellement, Shogimon (Shogi monsters)
https://play.google.com/store/apps/details?id=com.azerbo.shogimonsters&hl=fr_CA
Les cartes sont animalières et cute (ça change favorablement des pitounes en boob-armor) et la petite semble accrocher. Deux points à vérifier encore : la complexité peut-être trop élevée pour une petite fille de 5 ans et demi et la jouabilité réelle en mode « gratuit ».
Ce que tu décris me semble illustrer deux facettes du jeu qui sont en sacré « clash » dernièrement: le jeu en tant qu’objet tangible Versus le jeu en tant qu’expérience.
1) Le jeu en tant qu’objet tangible.
On paie déjà une « surprime » pour le luxe de posséder une expérience de jeu « en entier », « physiquement »:de pouvoir y jouer maintenant, plus tard, toujours, tant qu’on l’aura. Pour le revendre au besoin, ou le ressortir dans 20 ans. C’est clairement plus cher, et les jeux le savent, d’avoir une expérience « indépendante ». Certes, certains jeux axent même carrément leur arguments de vente là-dessus: Ashes par exemple offre « une expérience complète dans la boîte », qui sera étendue « à l’aide d’expansions sorties à un rythme raisonnable », mais juste en partant la boîte d’Ashes est 60$ (et les expansions 15$ pour 33 cartes), on peut voir le surcoût directement là.
C’est un bibelot, un objet de collection, un jouet. Même sans jouer au jeu lui-même, on peut toujours s’amuser avec les figurines, s’émerveiller des dessins sur les cartes, ou s’amuser à les brasser. Le côté « tactile » est à l’avant plan. S’inscrivent dans cette lignée: tous les jeux style Conan, Imperial Assault, Zombicide, etc. qui offrent une « expérience tactile » d’abord et avant tout.
2) Le jeu en tant « qu’expérience », qu’on peut « louer », « accéder », où on peut « s’abonner ».
D’autres jeux, comme les jeux en ligne, misent quasiment sur une expérience « à la demande »… on produit, fournit du contenu, on met en commun via la technologie des choses qu’on peut parfois ne pas faire autrement. Par exemple, bien qu’il y aie beaucoup de jeux de cartes sur ordinateur, le coût marginal de créer de nouvelles cartes est bien moindre que de les imprimer… d’accord, les dessins, le design, mais après ça tu peux la mettre « en ligne » instantanément plutôt que d’attendre après un imprimeur et un paquebot venu de Chine.
Dans certains cas, il est quasiment impossible de reproduire du côté « tangible ». Prend par exemple le service « multi-joueur » des jeux en ligne (incluant les « applications de board games »): comment reproduire une telle expérience en restant dans le tangible? Même chose pour les jeux qui bénéficieraient comme Ingress « d’informations cachées » ou de traitement supplémentaire comme la géolocalisation ou des « pointages secrets »?
3) Certains jeux font un mélange des deux… Pandemic Legacy ou SeaFall, qui sont des jeux physiques, mais qu’on détruit à force de jouer. J ene sais pas si c’est juste des « animaux spéciaux » ou si c’est une tendance lourde… à mon avis ils vont se ranger d’un côté ou de l’autre à terme.
À l’avenir, tout ce que je prédis, c’est que le fossé va se creuser… les jeux « expérience » vont continuer à sortir et fermer de façon rapide et inévitable (ils n’offrent, après tout, aucune garantie de « continuité de l’expérience »), et les jeux « tangibles » seront de plus en plus chers, mais miseront de plus en plus sur le côté « tangible », tactile, joli, bibelot pour satisfaire ceux qui recherchent ça. Faut se faire à l’idée…
Épilogue : date fatidique passée, la page a été tournée sans trop de difficultés, à vrai dire. Les autres jeux similaires testés ont moins de succès, que ce soit chez le père ou la fille. L’activité père-fille « jeu vidéo » a été remplacée par « vidéo tout-court » : on se regarde les cités d’or (série orginale, pas la nouvelle)
🙂
Bonjours à tous. Depuis la fermeture de spirite stone je cherche désespérément un jeux similaire mais je ne trouve pas et pour tant je telecharge grand nombre d’application
Si quelqun à une petite idée