Cyberespace cybershmespace

Un article passionnant aujourd’hui sur le cyberespace sur salon.com (pas le site que je fréquent le plus souvent, en plus) et repris sur /. , mettant à mal quelque chose qu’on prend malgré tout un peu pour acquis avec le temps. Pour résumer le propos, c’est un rappel un peu brutal que l’idée même de l’extraterritorialité du cyberespace est à la base ridicule: Internet roule sur des serveurs, des fils, des fibres et des disques qui appartiennent bien à des gens, et qui ont une localisation bien physique et définie.

La source de tout ce brouhaha

Autant je ne peux être qu’en accord avec cet énoncé, autant j’émet des réserves toutes personnelles sur son absolue vérité.

William Gibson, dans son chef d’oeuvre (y’a pas d’autres mots) Neuromancer publié en 1984 posait l’existence d’une représentation graphique de la réalité, iconifiée et probablement dans les teintes de bleu aqua sur fond noir qui sont devenus pour tous les fans de science-fiction du monde synonymes de futurisme branché. Le roman s’ouvre d’ailleurs sur une phrase qui ne manque jamais de me donner des frissons.

The sky above the port was the color of television, tuned to a dead channel.

L’idée, reprise par une multitude d’auteurs de Sterling à Stephenson, d’un endroit où les nerds sont rois et où c’est par « la dureté du mental » qu’on maîtrise son univers, séduit et fait rêver. Lui imaginer une certaine Indépendance (« I » majuscule) et une vie qui lui est propre véhicule des idées d’affranchissement, de liberté, de Nouveau Monde (de Colonies?), de nouvelle frontière, etc.

(William Gibson est, par ailleurs, un peu chiant en général de ce que j’en ai lu, déclarant de Shadowrun « GAG ME WITH A SPOON« .)

Come on y'a pire que ça...

D’un côté, difficile de réfuter l’argument, la meilleure preuve en étant la multitudes de saisies d’ordinateurs des dernières années ayant mené à des arrestations pour des crimes informatiques. Aussi « virtuelle » semble-t-elle, une donnée finit toujours par résider sur un disque, une puce ou un ruban (moins, les rubans, en 2013, quand même). Nous sommes êtres de chair, et bien malin est celui qui pourra prétendre demain matin à la « citoyenneté du net » pour se défendre d’une extradition (bel essai M. Assange.)

D’un autre côté, difficile d’accepter l’argument, la meilleure peuve en étant la multitude de saisies des dernières années, qui n’ont pas réussi à enrayer la diffusion des informations qu’elles cherchaient pourtant souvent à contenir. Finalement, l’argument semble un peu… réducteur. Prenons ce site; propriété d’un québécois, hébergé aux États-Unis, accédé par des gens de partout (Bonjour Paris!). Si un nouveau concept révolutionnaire y prenait vie à partir des échanges s’y déroulant, quelle nationalité aurait-il? Anecdotiquement, ce n’est pas innocent que j’aie initialement choisi le suffixe .net (de préférence au .com, .ca, .qc.ca ou autre).

La bouteille de Klein... le liquide est-il à l'intérieur ou à l'extérieur?

Force est d’admettre au final que la vision romantique de la chose est probablement erronée judiciairement, et que la vision judiciaire des choses se trompe probablement quelque part au plan moral. Pour un (prétendu) rationnel comme moi, pas vraiment le choix de finir assis entre les deux chaises, tout en n’oubliant pas que l’une d’elle est beaucoup plus solide que l’autre s’il était vraiment question d’assurer l’appui de mon postérieur.

N’empêche que ça fait rêver, la « République d’Internet ».

Une réflexion sur « Cyberespace cybershmespace »

  1. Un tel nouveau concept révolutionnaire n’aurait pas nécessairement de « nationalité » en tant que telle. En revanche, il y aurait un découvreur/inventeur, celui ou celle qui aurait émis l’idée princeps. Et c’est là que la notion de cyberespace prend un gros coup dans l’aile. Je m’explique: lors de la phase de diffusion de l’information, en cas de litige ou conflit concernant l’origine de l’invention, on pourrait (plus ou moins facilement) remonter jusqu’à ton site. Lequel est hébergé aux États-Unis. Ce serait donc le droit américain de propriété intellectuelle qui s’appliquerait. Je peux me tromper, mais il me semble d’ailleurs que ces considérations font partie des blablabla-qu’on-ne-lit-jamais lorsqu’on « signe » virtuellement une licence pour s’héberger sur un site. L’inventeur aurait lui aussi évidemment son mot à dire. S’il s’avérait être guatémaltèque, l’Histoire retiendrait sans doute, au final, qu’il s’agit d’une invention guatémaltèque faite aux États-Unis.

    A mon avis, il n’y a d’ailleurs pas besoin d’avoir attendu l’invention du net (merci à Al Gore au passage) pour se trouver confronté à cette distinction que tu faisais dans ton article (on sent qu’on est quand même devenu plus bourgeois du Plateau, on ne dit plus « post » on dit « article »), dans ton article disais-je donc, entre support initial d’une donnée quelle qu’elle soit, par définition tangible, et sa diffusion par définition.. diffuse. Le premier exemple qui me vient en tête touche un domaine que je connais un peu, la recherche en sciences du vivant. Pendant de nombreuses années, les chercheurs soviétiques n’avaient aucun droit de publier leurs données en génétique (pour des raisons tant stratégiques qu’idéologiques) dans des revues internationales, et leurs publications en langue russe étaient étroitement encadrées voire censurées. Pourtant, en dépit de tous ces contrôles, l’information parvenait à diffuser à l’international: circulation sous le manteau des rares versions en russe photocopiées (microfilmées dans les cas les plus « cools »), ou même tout simplement confidences lors des congrès entre deux pissotières, etc…. Il y avait là aussi un « espace » de diffusion plus ou moins virtuel, basé sur des échanges écrits voire oraux. Comme dans beaucoup d’autres domaines, Internet ne fait à mon sens qu’accélérer ce genre de processus.

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